Mediapart a mené une enquête très complète autour du fiasco des masques, avec un titre sans détours : « les preuves d’un mensonge d’État ». Les journalistes ont notamment établi une chronologie des erreurs qui auraient été commises ces derniers mois, à l’aide de témoignages et de documents confidentiels. Extraits.
Entre fin janvier et début février : Le Ministère De La Santé, conscient de la faiblesse des stocks d’État, n'a décidé de commander, très tard, qu'une très faible quantité de masques, malgré des alertes internes. Le matériel a de surcroît mis plusieurs semaines à arriver. Chaque ministère commande de son côté, pesant moins dans les négociations et l’usage de procédures de marchés publics sont évidemment des méthodes qui ont été inadaptées face à l’urgence.
C’est la guerre entre les pays pour être servi. Les ambassadeurs en Chine en sont quasiment à dormir sur les palettes pour sécuriser les lots. Et à ce jeu-là, la France s’est réveillée tard.
Entre fin février et le 21 mars : Une cellule interministérielle est créée pour acheter des masques (CCIL). Le bilan de cette structure s'est avéré catastrophique, selon Mediapart. Elle n'a pu obtenir que 40 millions de masques, soit l'équivalent d'une semaine de consommation au rythme contraint actuel. La cellule a notamment raté plusieurs possibilités de livraisons rapides, notamment d’entreprises situées en Chine.
L’annonce par le Président de la République de la réquisition des stocks de masques détenus par l'ensemble des institutions et des entreprises françaises a aussi jeté un flou. Les professionnels ont arrêté de livrer les établissements de santé et les pharmacies, ne sachant pas ce qu’ils avaient le droit de faire et cela a retardé l’approvisionnement en masques dans l’hexagone.
L’enjeu pour nous, c’est finalement de préparer la sortie de confinement, où on sait qu’il faudra massivement équiper la population.
Fin mars : Alors que le confinement a débuté mi-mars, Olivier Véran reconnaît enfin la pénurie dès le 19 mars, au Sénat puis publiquement à la télé. Le Ministre de la Santé avoue, avec près de deux mois de retard, que l’État n’avait que « 150 millions » de masques chirurgicaux et aucun FFP2 en stock fin janvier ! Un milliard de masques ont finalement été commandés en Chine, en plus de toute la production de millions d’unités en France. Sans oublier les dons d’entreprises comme le Crédit agricole et LVMH.
Au moins six plaintes pénales ont déjà été déposées devant la Cour de justice de la République (CJR) contre le premier ministre Édouard Philippe, l’ex-ministre de la santé Agnès Buzyn et son successeur Olivier Véran, accusés d’avoir mal géré la crise, notamment au sujet des masques.
Les langues commencent à se délier.
Si on sait désormais que le gouvernement a caché cette pénurie de masque pendant près de 2 mois, cela a eu des répercussions sur les consignes sanitaires et sur le port du masque. Fin février, le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, préconisait un masque pour toute personne en contact avec un porteur du Covid. Un mois plus tard, la porte-parole de l'exécutif déclarait que c'était inutile !
Les masques ont donc été annoncés comme réservés aux personnels soignants et aux personnes faibles, mais, en coulisses, également à certaines entreprises pour des raisons économiques. Par exemple, l’avionneur Airbus aurait bénéficié au début de la crise d'un traitement de faveur, selon Mediapart.
Je suis écœuré qu’on utilise des FFP3 alors que ça ne sert à rien d’assembler des avions en ce moment. Ces masques devraient être donnés aux hôpitaux.
Hier sur Europe 1, Marina Carrère d'Encausse a également employé le terme de « mensonge » pour évoquer ce qui a été dit en début d'épidémie sur l'utilité des masques. Selon la médecin et présentatrice du Magazine de la Santé, il n’y avait pas d’autres solutions que de prioriser, afin d’éviter que la population achète massivement des protections et prive ainsi encore davantage les soignants de masques.
On a dit au début que cela ne servait à rien, parce qu’on n’en avait pas assez ! Il faut être clair. […] Cela aurait été mieux d’être masqué depuis le début ça c’est sûr. […] A l'époque, on a priorisé. Comme effectivement on n’avait pas assez de masques, là-dessus on ne peut pas dire le contraire, on a tout fait pour les réserver à ceux qui en avaient le plus besoin, c'est-à-dire le personnel soignant. C'était pour une bonne cause puisque c'était pour le personnel soignant, pour protéger la population et le personnel soignant.
Est-ce que là il aurait fallu dire exactement la vérité ? Dans ce cas-là, le personnel soignant aurait eu encore moins de masques. Donc moi je trouve que ce genre de mensonge peut tout à fait être compris et s'excuser. Après, aujourd'hui, je pense qu'on doit être, nous journalistes, dans une vérité totale, quitte parfois à être anxiogènes parce que la réalité aujourd'hui elle n'est pas forcément rassurante. Mais en disant tout ce qu'on sait aujourd'hui, sans cacher les choses.
Désormais le gouvernement pense au déconfinement progressif, sans donner de date précise, avec, sans doute, un port de masque dans les espaces publics pour tous, et ce jusqu’à la fin de l’épidémie.
Au-delà de l’histoire de ces 3 derniers mois documentée ici par @mediapart cette affaire de #masques révèle deux obsessions majeures des budgétaires de ces - au moins dix dernières années : le court terme et la volonté de suppression d’organismes publics. Essai d’explication ⤵️ https://t.co/O3OlofKP42
— Cécile Duflot (@CecileDuflot) April 2, 2020