Une enquête de 2 ans, signée Jean-Baptiste Malet, est mise sous silence en Italie. Son livre « L’empire de l’or rouge », nommé pour le prix Albert Londres, révèle les mystères des tomates industrielles. Si en France l’ouvrage est disponible depuis près d’un an et demi, et a été une base pour plusieurs émissions d’investigations, en Italie « Rosso Marcio » est commercialisé depuis quelques mois.
Enfin, était commercialisé, car l’éditeur local Piemme, propriété du groupe Mondadori, vient de retirer le livre de son catalogue en échange d’un accord secret. En cause, les pressions de la marque Giaguaro, qui fabrique de la conserve à base de tomates. Et qui est surtout concerné par un passage du livre, qui fait seulement 3 pages.
Giaguaro, importateur majeur de concentré chinois, a déposé une plainte en Italie il y a quelques mois. L’entreprise, qui approvisionnait Carrefour à la parution de mon livre en mai 2017, me reprochait de nuire à son image en France et de lui avoir causé une baisse de ses exportations de plusieurs millions d’euros. La seule faille trouvée dans mon texte justifiant la poursuite : ne pas avoir précisé que la société avait été innocentée à la suite d’une perquisition spectaculaire évoquée dans le livre – la saisie par les carabiniers de 1500 barils de concentré chinois pourri grouillant de larves et de vers.
Les mafias s’intéressent aussi à la sauce tomate.
Dans cette affaire, Giaguaro a plaidé qu’il s’agissait de vieux stocks de concentré destinés à la destruction. Mais Jean-Baptiste Malet balance d’autres histoires pourries, notamment le fait que cette marque a acheté de fausses analyses à un laboratoire véreux lié à la criminalité organisée, cité par une enquête policière italienne sur la base d’écoutes téléphoniques.
Les enquêteurs révélèrent les pratiques peu scientifiques de ce laboratoire : il distribuait de fausses certifications à de nombreuses entreprises, afin de leur permettre d’enfouir des déchets industriels toxiques ; pour cela, les analyses étaient truquées, les déchets soumis à analyse devenaient légalement admissibles à des enfouissements comme compost. C’est en plaçant ce laboratoire véreux sur écoute que les enquêteurs découvrirent que Giaguaro était l’un de ses clients et qu’il certifiait également, avec de fausses analyses, du concentré chinois et des conserves 'Made in Italy'
Traduit au Japon, en Espagne et en Allemagne, « L'Empire de l'or rouge » sera bientôt disponible en Slovénie et à Taïwan. Une édition de poche est prévue pour le 10 octobre prochain en France.
Leurs avocats mon suggérer la possibilité de ne plus citer Giaguaro, en m’engageant contractuellement à me taire. Si j'écris une enquête sur le secteur, ce n'est pas pour me coucher devant une entreprise. Je n'ai plus été informé des échanges, ce que je trouve extrêmement déplacé de la part du groupe Mondadori. Un accord a visiblement été trouvé entre Mondadori et Giaguaro, et, je le suppose, la plainte retirée. J’aurais préféré défendre mon livre devant la justice italienne car mon enquête ne contient aucune erreur factuelle. Elle n’a d’ailleurs pas été attaquée par Giaguaro en France. Il s'agit clairement de tentatives d'intimidation, que les journalistes italiens subissent au quotidien. Ce qui est sûr, de mon côté, c'est que je me battrai pour que ce livre soit diffusé en Italie.