Karine Le Marchand, qui a fermé son compte twitter la semaine passée, avait publié en décembre dernier sur Instagram un selfie sur le tournage, réalisé au groupe hospitalier Saint-Joseph de Paris. Le programme, provisoirement baptisé Renaissance, nécessite d’ailleurs deux années de tournage au sein d’hôpitaux et de centres spécialisées, afin de suivre des patients ayant eu recours à la chirurgie bariatrique. Une opération lourde, spectaculaire et qui n’est pas sans conséquences. 450 000 opérations de ce type ont été réalisées entre 2006 et 2017, d’après les chiffres de l’Assurance Maladie. En 2015, 30 patients sont morts des suites de ces opérations, selon Le Monde. Alors que va-t-on voir dans cette émission consacrée à l’obésité, dont la diffusion est prévue sur M6 en 2020 ?
BuzzFeed a mené une enquête sur les coulisses du programme de Karine Le Marchand. Un membre de l’équipe de production a affirmé que tout était scénarisé d’avance et que le résultat ne ressemblera pas à un documentaire comme annoncé sur l'appel à témoins. Pire, il estime que les séquences prévues sont une humiliation : « ils ne filment pas quelque chose qui existe déjà, qui fait partie des protocoles des opérations, ils créent quelque chose pour les besoins du programme ». En effet, dans un document de travail interne, on peut lire quelques idées de mise en scène, notamment faire porter aux patients un sac à dos contenant l’équivalent du poids qu’ils ont perdu grâce à la chirurgie :
Ils ne peuvent à peine marcher, et ne comprennent pas comment ils ont pu se déplacer avant avec leur surpoids. Ils s’assoient autour d’un feu, posent leur sac, et à tour de rôle présentent une photo d’eux gros ou un objet qui symbolise le gros qu’ils étaient et le jettent au feu. Karine Le Marchand leur indique l’espérance de vie qu’ils ont gagnée d’après leurs analyses récentes et leur rend également le "testament émotionnel". Ils le brûlent. Chacun lit à voix haute la lettre adressée à eux-mêmes il y a deux ans. Émotion.
Plus trash, des idées de séquences à tourner pendant et après l’opération de chirurgie esthétique permettant de retirer les excès de peau aux patients :
Le chirurgien explique ce qu’il fait (opération des seins). On filme les lambeaux de peau sur la table du bloc, Karine Le Marchand les prend dans la main. C’est impressionnant.
[…]
Visite post-opératoire du chirurgien et de Karine Le Marchand. Karine Le Marchand montre à la patiente dans un vase transparent toute la peau enlevée (synthétique) et on lui donne le poids enlevé en kilos.
Pour de nombreux spécialistes médicaux et les associations de malades il n’y a aucun doute. L’association Gras politique a d’ailleurs envoyé ce courrier à neuf autorités compétentes, dont l’ordre des médecins et le CSA, afin de mettre un terme à ce projet. Pour le moment M6 ne fait aucun commentaire sur la polémique et sur l’émission qui est au stade de tournage.
La productrice et animatrice affirme que « tous les éléments semblent provenir d'un projet de travail datant de 2016... projet qui a largement évolué depuis ». Pourtant le document de travail de la production a été créé en mai 2017. Karine Le Marchand a précisé également à BuzzFeed que « le format définitif original est déposé et confidentiel et que ce n’est même pas le bon titre ». Pourtant dans une interview début février Karine parlait bien de « Renaissance », et elle utilisait ce hashtag pour son selfie de décembre.
De son côté, le cabinet de la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a avoué à BuzzFeed être « assez choqués par cette émission qui pose des problèmes de fond ». Le ministère suit de près l’hôpital qui collabore « d’un point de vue juridique ». Enfin, le groupe hospitalier Saint-Jospeh garantit que tout se fait avec transparence et rigueur, dans le cadre d’une convention signée avec la société de production, sans contrepartie financière.
Tout ce que j’entreprends respecte non seulement les règles de déontologie, mais aussi les personnes. Et que je travaille en étroite collaboration avec les meilleurs spécialistes de la chirurgie, de la nutrition, de la psychologie spécialisés dans le combat contre cette maladie qu’est l’obésité, et d’autres spécialistes que vous découvrirez. Mon émission voit le jour après plus de deux ans d’enquête, et va être tournée sur plusieurs années. Ce que nous entreprenons avec nos témoins va au-delà des recommandations de la Haute Autorité de santé. Je ne produis pas de télé-réalité et je ne suis pas prête de le faire.
J’en ai parlé à plusieurs patients et leurs réactions étaient mitigées. Certains m’ont dit que le principe de l’émission les choquait. Je ne veux pas critiquer l‘émission mais la façon dont ça nous a été présenté fait que j’ai trouvé ça très intrusif et spectaculaire. Ça ne correspondait pas à notre prise en charge et à notre vision des choses par rapport à un accompagnement très personnalisé du patient. […] En tant que médecins, nous faisons le serment d'Hippocrate, nous ne sommes pas censés exposer la vie privée des patients.